Notre première fois…

 

La vie est ponctuée de premières fois. Toutes sont souvent des étapes déterminantes pour le reste de l’existence. Formatrices, initiatiques, elles ont pour caractéristique le fait qu’il y a un avant et un après.

Il y a aujourd’hui une première fois incontournable, qui coïncide avec l’entrée dans l’adolescence, voire la pré-adolescence. Et celle-ci inquiète les parents qui sont souvent désemparés face à cette échéance qui arrive de plus en plus tôt.

Je veux bien entendu parler de l’arrivée du premier smartphone.

L’âge moyen en France pour le premier téléphone portable est de 11,5 ans, et 89% des pré-adolescents de 12 à 14 ans ont maintenant un smartphone. Ce phénomène ne cesse de s’accroître, car la génération qui aura 13 ans cette année, est certes née avec le numérique, mais surtout elle n’aura jamais connu un monde sans smartphone et sans réseaux sociaux.

Si 79% des parents disent limiter le temps d’exposition aux écrans pour les moins de 12 ans, par le biais de règles de conduite à la maison le plus souvent, ou de contrôles parentaux plus ou moins efficaces, les choses changent complètement à l’arrivée du premier téléphone portable. Les bonnes résolutions et les règles instaurées au début ne résistent pas longtemps à la dure réalité.

Que se passe-t-il en effet quand internet et les réseaux sociaux sont à portée de main (ou de doigts),  en dehors de la maison, presque 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 ?

Plus aucune règle, plus aucun contrôle parental aussi sophistiqué soit-il, ne sont adaptés à cette nouvelle situation, d’autant qu’il faut faire face à des ados qui en savent maintenant plus que leurs parents.

Jamais dans l’histoire, les parents n’ont été confrontés à un tel défi et un tel décalage entre ce que vont connaître leurs enfants et leur propre expérience. On ne peut plus faire comme avant, se reposer sur nos acquis ou sur l’éducation reçue de nos propres parents.

Par défaut, faute de temps et de compétences, la confiance aveugle et unilatérale devient la norme pour 8 parents sur 10. Ce « choix » par dépit provoque logiquement de l’inquiétude face à cette situation qui est subie, de l’impuissance, mais aussi de la dévalorisation face à son enfant, envers qui on a du mal à assurer protection et éducation dans ce nouveau monde.

On imagine aisément le problème : Nous faisons confiance, sans possibilité de contrôle ou d’agir, à un ado qui va naturellement se construire dans la transgression et chercher ses limites…

 

Que font nos ados dans ce monde de liberté ?

 

 

Leurs usages sont nombreux et évoluent très vite dans ces nouveaux territoires, souvent vierges de parents et d’adultes, et qui ont tout pour leur plaire. Les réseaux sociaux font partie de leur vie, où les relations numériques et réelles se confondent. Et ne pensez pas les trouver sur Facebook, ils pensent que ce réseau social a été créé pour leurs grands-parents…

Vous connaissez sans doute Instagram et Snapchat (peut-être ?), mais connaissez-vous TikTok ? ou Twitch ?

Difficile d’être toujours à la page et de comprendre rapidement comment fonctionne nos ados dans leur monde numérique et ce qu’ils y font. Ce qu’il ou elle fait est-il normal ? Est-ce sans risque pour mon enfant ? A-t-il besoin d’aide ?

Lire aussi : Nos ados et les réseaux sociaux : tendances 2018

 

Peut-on se satisfaire de cette situation ?

 

Même si la communication peut être assez compliquée, nous savons que nos ados ont besoin de nous dans cette période délicate. Ils ne sauront pas gérer toutes les nouvelles situations qu’ils vont rencontrer, et ne sauront pas toujours demander de l’aide. On sait par exemple qu’ils vont plutôt orienter leurs choix vers ceux qui présentent une gratification visible et immédiate (c’est d’ailleurs sur cela que se base les réseaux sociaux pour créer de l’addiction). Ils ont besoin de faire leur propre choix, mais ont besoin aussi qu’on leur donne un cadre et du recul.

Que vont-ils rencontrer dans leur monde numérique ? A quoi devront-ils faire face, avec leurs propres armes, et leur personnalité encore en construction ?

Les actualités récentes sont là pour nous rappeler que le monde numérique est un monde encore jeune (scandales sur le traitement de nos données personnelles, cas de cyber harcèlement, défis et challenges à l’issue parfois dramatique, mauvaises rencontres, cas de suicide…). Les règles sont encore à écrire et les dérives courantes.

Si nous pouvions faire une comparaison, donner un smartphone, porte d’entrée dans le monde numérique, à son enfant, sans formation adaptée, sans règles d’utilisation et de contrôle, ce serait comme lui donner les clés de notre voiture sans qu’il ait le permis.

Il est vrai que cette comparaison un peu provocante ne reflète pas tout à fait la réalité. Car pour être exacte, dans ce monde où les jeunes conducteurs emprunts de liberté seraient livrés à eux-mêmes, il faudrait qu’en plus il n’y ait pas de code de la route, pas vraiment de forces de l’ordre, et que nous ne sachions nous-même pas très bien conduire,…

Bien sûr, on meurt rarement d’un accident de smartphone, mais toutes proportions gardées, les dangers existent, sont nombreux, et malgré tout, sont parfois mortels.

 

Alors, que peut-on faire ?

 

Comme pour la sécurité routière, les premières réactions sont venues du législateur.

Parmi les initiatives réglementaires, on peut citer :

  • L’entrée en vigueur du nouveau règlement européen sur la protection de nos données personnels. Cette loi a, entre autres, pour objectif de protéger plus efficacement les enfants et les ados des dérives des réseaux sociaux sur l’utilisation de leurs données.
    Lire aussi : RGPD : ce qu’il vaudrait mieux savoir en tant que parents
  • et si l’on en croit le Secrétaire d’Etat chargé du numérique, nous pourrions avoir bientôt une loi sur l’addiction aux réseaux sociaux. Même si on voit mal comment elle pourrait être appliquée concrètement.

Car c’est bien là le problème. Ces lois ont surtout vocation à initier une prise de conscience sur le fait que le numérique n’est pas anodin et sans danger. Leur application, quant à elle, reste compliquée et très incertaine.

Quand on sait par exemple qu’il est interdit aux enfants de moins 13 ans d’être inscrits sur les réseaux sociaux, mais que 54% des enfants entrant en 6ème y sont déjà inscrits, cela fait beaucoup d’enfants hors-la-loi…

Nous avons ensuite le levier de la prévention et de la sensibilisation.

Malheureusement, la prévention moralisatrice, et souvent infantilisante, des adultes n’a que peu d’effet sur les ados. Il suffit de faire un petit effort de mémoire et de se souvenir de notre propre adolescence pour en être convaincu. Et je ne parle pas des « réunions d’informations » organisées dans les écoles…

Enfin, il y a les actions des plateformes de réseaux sociaux elles-mêmes.

Nous assistons à une prise de conscience récente de ces acteurs sur tous les dangers qui guettent nos ados sur leurs plateformes. Par exemple, Instagram a récemment fait beaucoup de communication et mis en place (via sa maison mère Facebook) des outils pour tenter de se prémunir contre les messages haineux et le cyber-harcèlement.

Même si c’est un moyen de se différencier, et de grapiller des parts de marché à son concurrent Snapchat, on sent bien que ces actions et ces communications sont en réaction, et dues à la contrainte, soit par la Loi, soit par l’image qu’ils risquent de renvoyer. Et c’est bien normal, car le but de ces entreprises est avant tout de préserver leur business model.

De notre côté, il semble donc assez périlleux de se fier entièrement à la belle âme de ces plateformes qui n’ont pas en la matière les mêmes intérêts pour nos enfants que nous…

 

 

Un peu d’optimisme !

 

Effectivement, on ne va pas pouvoir interdire le smartphone, ou les réseaux sociaux à nos ados. Cela fait maintenant partie de leur vie. On ne va pas non plus pouvoir surveiller tous leurs faits et gestes. Même si on le pouvait, la chambre d’un ado, qu’elle soit réelle ou numérique, reste un territoire sacré, nécessaire à son évolution.
Mais, on ne va pas non plus laisser faire en croisant les doigts et en espérant que cela se passera bien…

Si le cerveau de nos ados, sur le plan de la neuro-science, n’est pas « fini » (N.d.A. le cerveau a terminé sa construction vers 25 ans…), il n’en demeure pas moins qu’ils sont parfaitement conscients des risques, et ce autant que les adultes. Par contre, ils n’ont pas la même approche de ces risques. Cela fait partie de leur construction.  Même s’ils ne le montrent pas, ils ont, durant cette période, énormément besoin de cadres et de repères qui les guident et où ils se sentent un minimum protégés. Ils en ont besoin pour affronter le monde des adultes qui pointe dans leur horizon.

C’est d’ailleurs ce que confirme la toute dernière étude de Common Sense Media, une association américaine qui s’occupe des relations entre la famille et la technologie depuis plus de 15 ans. Cette étude montrent que nos ados sont aujourd’hui parfaitement conscients des risques et des intentions cachées des plateformes de réseaux sociaux. Ils en sont conscients, mais en même temps reconnaissent ne pas pouvoir s’en passer. Cela nous éclaire sur le besoin de nos ados d’être conseillés et avertis des dangers potentiels présents dans le numérique. Ils ont besoin des bonnes informations au bon moment pour leur permettre de faire les bons choix. Cela est d’autant plus important qu’ils auront naturellement tendance à faire le choix de la gratification immédiate qui n’est pas toujours bonne conseillère.

Voir l’étude complète de Common Sense Media (en anglais).

En clair, l’environnement a changé, mais les ados sont toujours les mêmes, des adultes en devenir. Il faut donc s’adapter à ce nouvel environnement et pouvoir ainsi prolonger notre rôle de parent malgré cette nouvelle barrière du numérique.

Mieux, nous pouvons faire de cette contrainte une opportunité pour recréer le dialogue, éduquer, sensibiliser, protéger. Non pas comme avant, mais encore mieux qu’avant.

Nous pouvons apprendre aux ados à mieux réagir face aux contenus violents, au harcèlement, aux intimidations, aux mauvaises rencontres et mauvaises influences, aux fausses informations, à s’auto-réguler de manière autonome,…

Nous pouvons aider les parents à mieux comprendre le monde numérique de leurs enfants et leur donner les bons conseils au bon moment pour pouvoir réagir correctement face à ces nouvelles situations. Nous pouvons donner la possibilité de (re)créer un vrai dialogue avec leurs ados.

Encore faut-il avoir les bons outils. Car, dans le numérique tout est possible, le pire comme le meilleur. A nous, parents, experts et professionnels, de construire le meilleur.

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